Haut

En prenant le train, on a remis le JT sur les rails

Futures journalistes en télévision, le JT est un peu notre Graal. Pourtant, il se meurt à petit feu. Pourquoi ? Cette question, nous l’avons posée à ceux qui le regardent ou le regardaient. Nous avons interrogé des passants à la gare de Bordeaux pour comprendre la cause de ce désamour et créer un journal qui leur ressemble.

Qu’est-ce qui nous a pris de faire ça ?

Pas d’abracadabra ici. Nous n’avons pas sorti toutes ces idées d’un chapeau magique de journalistes. L’idée nous est apparue dans une salle de cours. Son intitulé : “Le journalisme plus proche de vous”. Et pendant que les débats allaient bon train, les esprits commençaient à déprimer : “Dans tous les cas, les gens ne sont intéressés que par eux-mêmes, jamais nous n’arriverons à leur redonner le goût de l’information”. Tss, tss. Vraiment ?

Personne n’avait la réponse. Et à dire vrai, nous non plus. Et c’est là qu’elle est apparue, l’idée. Nous avons décidé de nous lancer dans un projet un peu fou : un JT du train. Non, nous n’avons pas embarqué de caméra dans un wagon. Nous sommes allées dans un TER, à la rencontre “des gens”, comme disent les journalistes, pour savoir ce qui clochait dans le journal télévisé. 3h, des dizaines de kilomètres et des dizaines de rencontres. Pourquoi un TER ? Parce qu’on était sûres de trouver un maximum de diversité, qu’elle soit socio-économique ou géographique.

Lors de nos conversations, nous avons posé deux questions : quel sujet aimeriez-vous voir au journal télévisé ? Et, de quelle manière le voyez-vous traité ? Nous ne cherchions finalement pas des critiques, mais des solutions.

Alors, pour autant, nous les avons reçues les critiques, sans répondre, pour une fois. Se mettre en mode muet pour mieux entendre le bruit qui court. 
La forme, le fond, les journalistes eux-mêmes, tout y est passé. A la fin, l’enjeu était énorme : tout (ou presque) était à refaire. Qu’à cela ne tienne, nous allions créer un journal télévisé où le public serait notre rédacteur en chef.  

A

men. La grande messe du JT est terminée. La défiance envers les médias touche aussi les journaux télévisés, autrefois chantres de l’information. Petit à petit, les écrans ne se sont plus allumés à 20h pour entendre les “bonsoirs” faussement joviaux des présentateurs. Les téléspectateurs glissent sur ces chaînes comme sur des pistes noires, sans s’arrêter. Alors, la faute aux réseaux sociaux, au public qui ne s’informe plus, aux journalistes qui perdent pied du haut de leur tour d’ivoire ? Les causes de cette maladie sont multiples, les remèdes tout autant. Alors, symptômes par symptômes, se déroule la notice d’utilisation d’un médicament révolutionnaire : la remise en question. 

« La télé c’est pour les vieux »

Les symptômes : Les sujets sont parfois dépassés, et la façon de les faire est encore pire… En bref, pour nos interviewés, le journal télévisé est démodé. Sa structure, d’abord. Traditionnelle, elle est (é)rodée jusqu’à l’usure. Plateau, images, interview, images, interview, images, fin. Et ce, quel que soit le sujet. 

“Vous faites toujours de longues phrases, dans un langage soutenu, comme pour créer une distance avec nous”, explique Farah. Une approche des sujets très “politiquement correct”. Et ce ton, monotone voire monocorde, malgré le sourire figé des présentateurs, définis comme des “premiers de la classe” par les participants.

Le remède : L’important, c’est d’abord de garder sa personnalité en tant que journaliste : “Arrêtez de vouloir rentrer dans un moule. Soyez fidèle à qui vous êtes, ce sera beaucoup plus naturel à regarder”, conseille Michèle, infirmière à la retraite. Garder un ton naturel et dynamique donc, en incorporant parfois une touche d’humour, à l’instar des vidéos youtube ou des zapping. 

Quoi de mieux que la gare pour échanger avec un public multiculturel ? Photo: Alice Bacot

« On met la mode au même niveau que ce qu’il se passe en Afrique »

Les symptômes : Dans un journal télévisé, les sujets sont structurés, et doivent respecter une durée d’environ une minute et trente secondes, quel que soit le thème abordé. “On peut faire deux minutes sur la mode, et autant sur le réchauffement climatique, comme si ça avait la même importance”, illustre William.

Résultats ? Les téléspectateurs reprochent au journal télévisé sa superficialité, plus focalisé sur la forme que sur le fond. “En fait, vous voulez caser un maximum de sujets en un minimum de temps, et vous n’allez jamais en profondeur. C’est dommage”, ajoute Michèle.

Le remède : “Si un sujet nécessite trois minutes pour être compris, pourquoi ne pas essayer ?”, questionne Adeline. Quoi qu’il en soit, les sujets doivent prendre exemple sur les formats postés sur les réseaux sociaux, où chaque image à une importance capitale : “Je pense que le format doit être adapté à l’information. Brut fait par exemple des vidéos courtes, mais avec des images impactantes, où chaque seconde apporte quelque chose. C’est ce qui me plaît” , explique Farah, une jeune voyageuse. Jérémy, un cuisinier qui ne s’informe lui aussi, sur les réseaux sociaux : “En quelques secondes, on peut passer d’une vidéo super drôle à des images terribles d’un tremblement de terre. L’information nous saute au visage, et c’est pour ça qu’on reste captivé du début à la fin.”



« Les journalistes disent ce qu’ils ont envie de dire »

Les symptômes :“La télévision n’est pas intéressante, les journalistes disent ce qu’ils ont envie de dire et pas forcément ce que les gens veulent dire” , expliquent Cassandra et Adeline, étudiantes en psychologie. Alors, pour avoir du “vrai”, elles vont directement à la source, sur Instagram et Twitter. “Quand on va sur les réseaux, les gens sont clairs, on comprend ce qu’ils veulent dire. Les journalistes, à force d’être loin des réalités du terrain, finissent par s’embrouiller eux-mêmes”, confirme Farah, une voyageuse.  

D’une certaine manière, le journaliste, à trop vouloir être présent, n’est plus discret derrière sa caméra. Intervenir dans le montage ou poser des questions orientées, des méthodes qui exaspèrent William, un militaire,
Et lorsque les sujets sont graves, pourquoi prétendre être au dessus de la mêlée et se détacher de ces sujets ? “Quand on parle d’écologie, ce sont souvent des sujets culpabilisants, comme si vous, vous étiez parfaits”, avoue Michèle.

Le remède : Repasser derrière la caméra, pour de vrai. Et proposer des sujets incarnés, où l’humain est au centre de l’information. Non pas parce qu’un agenda le requiert, mais parce qu’il a sa valeur, son histoire. 

Retraité, militaire, voltigeur ou encore cuisinier, nos rédacteurs en chefs venaient de tous les horizons. Photo: Alice Bacot

« J’en ai rien à faire de l’éleveur de chèvres du Larzac »

Les symptômes : Le journal télévisé à la sauce Pernault ne prend plus. Parler des Français oui, mais en faire une caricature, non. “Ne pas les prendre pour des cons”, lâche William, un militaire. « Qui vous dit quels sujets choisir ? Parfois, on a l’impression que vous faites des sujets sans tenir compte des intérêts des gens. Vous faites parce qu’on vous a dit de le faire”, assène Cassandra, en étude de psychologie. Des informations qui se répètent, au rythme de la zappette, sans aucune nuance entre les chaînes. Difficile de faire confiance aux journalistes lorsque, malgré les différences éditoriales, les chaînes reprennent toutes les mêmes reportages. 

Un exemple ? L’explosion à Rouen au même moment que la mort de Chirac. Si l’actualité a été couverte, elle a rarement servie à expliquer les dangers liés à cette explosion. Pourquoi ? Pour laisser suffisamment de temps pour parler de la mort de l’ancien président, malgré le nombre incalculable d’articles parus sur le sujet. 

Le remède : Parler à l’international, aller sur des terrains lointains, pour montrer ce qu’il se passe ailleurs, et permettre au public de mieux comprendre le monde, globalisé, dans lequel il vit. “Pourquoi on parle pas des combats en Afrique ? Il y a des centaines de morts, la situation est préoccupante, mais comme c’est loin, personne n’en parle”, regrette William. 

Si être le premier sur l’actu, à l’affût du buzz ne séduit plus, il est alors peut être temps de prendre une grande inspiration, et souffler. Une forme de méditation journalistique où chacun reprendrait le temps de consommer l’information. Suivre l’information, son évolution après son apparition. “Et pourquoi pas un JT hebdomadaire plus que journalier ?”, propose Virgile, acrobate équestre. 

Le journal du grand écart

Le lièvre

Le canapé, c’est confortable, mais c’est surtout une marque de proximité. Nous avons tenté dans notre JT de recréer un cadre plus intime, des phrases et des chroniques moins rigides. Nous avons aussi voulu se rapprocher des formats présents sur les réseaux sociaux. Pour la majorité des personnes que nous sommes allées voir, Facebook, Twitter et consorts sont leurs premières sources d’information. Mais ça ne faisait plus vraiment JT. Nous étions devenues un talk-show.

Nous avons donc tenté de reprendre leurs codes, avec notre zap basé sur les tendances twitter, ou encore ces plans canapés, inspirés des vidéos Youtube. Le zap d’ailleurs, finalement le meilleur moyen pour beaucoup de s’informer, au rythme de notre société. Consommer vite des infos futiles, oubliées sitôt la semaine achevée. Car aujourd’hui, pour intéresser, il faut que ça bouge, du rythme, faut qu’ça swing !
Les infos étaient brèves et impactantes mais peu compréhensibles. Car finalement, lorsque l’on sort une actualité brute, sans élément de contexte, chacun se retrouve démuni, à regarder des images dont il ne comprend pas le sens. Pas top.

Difficile de faire un journal sans journaliste nous direz-vous. C’est pourtant une requête formulée à plusieurs reprises par les personnes que nous avons rencontrées. Tout en nuance, nous avons donc tenté de laisser des espaces sans commentaire, sans coupure ni modification des propos.

C’est le cas de l’interview de Peyo, un ex-détenu, qui raconte les difficultés de la réinsertion. Nous avons laissé, au maximum, son discours brut, avec ses défauts et ses temps forts. Une réussite en demi-teinte : si les propos sont là, l’histoire marquante, les tics de langage, l’accent, les silences sont autant de limites pour le spectateur qui peut se lasser de ce témoignage bien avant sa fin. 

C’est en partant à la rencontre des gens que nous avons découvert le parcours difficile de Peyo. Photo: Alice Bacot

La tortue

Que chaque information soit traitée à sa juste valeur a été régulièrement évoqué. Nous avons donc décider de varier les formats, pour que chaque sujet ait la profondeur nécessaire. Les nouvelles technologies sont complexes ? On prendra 5 minutes pour les expliquer. Alors, on varie les rythmes, du temps long, court, des musiques prenantes, des images marquantes, pour que l’information passe autant par les oreilles que par les yeux. Et peut être, donner la chair de poule.

Alors oui, faire de l’info au long cours, des enquêtes poussées, c’est agréable. Mais c’est aussi chronophage. Et, si par malheur le sujet n’intéresse pas le téléspectateur, il zappera tout de même sans vergogne.

Nous avons aussi constaté que l’adage “good news is no news” n’est finalement pas si vrai. Si la majorité des informations sont graves et culpabilisantes, reprendre son souffle, avec des nouvelles positives, est nécessaire. C’est pour cela que nous avons créé le point colibri, pour parler d’écologie avec le sourire.

Parler positif, c’est le pari de certains médias qui ont aujourd’hui du mal à se trouver une place dans les foyers.
Deux courants, deux tendances qui se croisent et se percutent de plein fouet. D’un côté, de l’info brute, rapide et sans chichi. De l’autre, des temps longs, des sujets fouillés. Un double pari finalement que nous, futurs journalistes auront du mal à gérer, sans avoir de claquage, tandis que nous feront le grand écart. Avec une quinzaine d’interviewés, notre enquête lance des pistes, plus ou moins faisables, pour faire de la messe du JT un gospel flamboyant. Alléluia !    

Alice Bacot et Julie Chapman