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Les journalistes-streamers crèvent l’écran

Clique, Binge, le Figaro… nombre de médias se lancent à l’assaut des plateformes de live streaming pour délivrer l’information autrement.

« On est au plus près des gens et on passe notre temps à répondre à leur questions ». Thibault Izoret parcourt depuis 2016 les manifestations et autres rassemblements pour Le Figaro live. Ce journaliste « streamer » – comme il se désigne sur sa bio twitter – livre en direct images et témoignages recueillis sur le terrain. En parallèle, il est épaulé par un journaliste qui commente dans un studio d’enregistrement les images. La mise en scène est directement inspirée des lives de Gamers.

Pendant des heures, le duo de Streamers commente les images et embarque sa communauté de spectateurs au plus près du terrain. Le lien est permanent avec les auditeurs qui commentent le live et peuvent intervenir tout du long pour poser des questions.

« Le Figaro a commencé ses lives en 2016, raconte Brune Daudré, journaliste au Figaro Live. Nous avons d’abord proposé ce format sur Facebook et Le Figaro a développé notre plateforme qui respecte les codes du streaming. L’interaction avec le lecteur offerte par ce format nous a tout de suite convaincu. C’est aussi pour cette raison que nous avons rejoint Twitch », confie Brune Daudre.

À la conquête de Twitch

La plateforme Twitch est lancée en 2011 et rachetée par Amazon pour 1 milliard de dollars. Ce réseau social des jeux vidéos héberge des joueurs stars. Ils y bâtissent leurs communautés, qu’ils animent lors de la messe du live gaming : des parties en ligne où ils affrontent d’autres joueurs pendant des heures devant des milliers, voire des millions, de viewers pour les streamers stars. En 2018, plus de 9 milliards d’heures de vidéos ont été regardées. Des chiffres qui dépassent largement ceux de Youtube, malgré le rattrapage de la plateforme de Google.

Fort de ces statistiques, Twitch attire des contenus plus variés, comme en témoigne le tag talk-shows. Mais l’information s’y développe doucement. Rares sont « les médias dominants » qui adaptent leur ligne éditoriale à ce nouveau format, pour parler à ce public bercé par internet. Parmi les précurseurs on retrouve le Washington Post qui retransmet des procès, discours officiels et autres événements avec une équipe dédiée à la modération du chat

Kiffe ta race:

En France, les chefs de file du mouvement sont Le Figaro et Accropolis. Mais plus récemment Binge audio y a fait ses débuts. En juillet 2019, Kiffe ta race, l’un des podcasts star de Binge a mené son premier direct. Pendant une heure, Rokaya Diallo et Grace Ly ont répondu aux questions des auditeurs en direct..

Mais l’entrée la plus remarquée a été celle de Clique. Sa chaîne Twitch lancée en octobre 2019, pour le « Z Event » totalise aujourd’hui 105 639 vues en moins d’un mois. Un record pour un média français. Clique a toujours été très sensible à la culture web et particulièrement à celle du Gaming. Quand des médias traditionnels attaquaient les métiers ayant émergé sur internet, Clique accueillait des professionnels de ce domaine sur son plateau. En témoigne l’échange avec les créateurs de Radio Sexe, qui se sont faits connaître sur Twitch : « On est réticent à l’idée de parler de notre démarche dans d’autres médias qui nous stigmatisent trop souvent. Et au final on n’a pas besoin d’eux, Twitch nous permet d’être indépendant »

Mais désormais chacun veut faire son trou sur internet : le nouvel eldorado des médias. Les chiffres qu’arbore Twitch font saliver la presse en perte de vitesse. Mais selon Laurence Allard, chercheuse en science de l’information et de la communication, le réseau dédié à l’origine au gaming, à ses codes bien spécifiques. « Des médias plus sensibles à la culture internet auront sans doute plus de facilités à s’y installer ».

N’est pas streamer qui veut. Et ça, les journalistes du Figaro Live l’ont compris. « Reprendre les codes du streaming c’est aussi saluer régulièrement les nouveaux arrivants sur le chat et s’adresser directement à eux ». L’écran est la dernière barrière qui les sépare et le live permet de la briser à la façon du quatrième mur au théâtre, le spectateur fait partie intégrante de la rédaction. De la manifestation des gilets jaunes aux hommages officiels à Jacques Chirac, tous les événements peuvent être couverts par ce nouveau journalisme en direct.

Casser les codes

Médiapart a été le premier média à se lancer dans le live. Depuis 2012, la rédaction retransmet des émissions sur Youtube et Facebook, qui abordent des grands thèmes d’actualité. « Le live streaming permet de casser les codes des mass media. La télé s’adresse au plus grand nombre, alors que sur le web on s’adresse à une communauté que l’on se crée. L’info est personnalisée et on peut couvrir des sujets de niches », constate Pierre Cattan créateur de Smallbang, la société de production du live hebdomadaire de Médiapart.

Un constat que partage Brune Daudré au Figaro Live. « On est libéré de toutes contraintes de temps, on est libre de ménager des silences ou de faire des directs de 3 heures si on le souhaite et surtout de répondre directement aux spectateurs. On n’a été jamais aussi proche de nos lecteurs », Thibault Izoret appuie cette conclusion : « je ne peux pas tricher en live, lorsqu’on m’accuse de ne pas tout montrer, je réponds systématiquement c’est comme ça qu’on recrée un lien de confiance ».

À l’heure de la perte de crédibilité auquel se confrontent les médias, l’information diffusée à la sauce Twitch a de quoi faire rêver les rédactions. Tendre la main aux spectateurs en supprimant les intermédiaires et en s’adressant directement à eux, c’est la formule qui permet ces nouveaux modes de diffusion. Mais les médias n’en sont encore qu’aux balbutiements de la conquête du streaming. « Le live nous permet d’investir un terrain qui n’a jamais été couvert par la presse et d’élargir notre communauté, insiste Thibault Izoret, il met le rôle du journaliste au centre du débat et nous n’avons jamais été aussi proches des gens ».

Louisa Benchabane et Maud Charlet