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"Tout Info, tout en signes"

Médias et handicaps : un dialogue de sourds

Chercher à s’informer lorsqu’on ne peut plus lire ou écouter, c’est se heurter au manque d’accessibilité des médias. Pourtant, entre audiodescription, braille ou machine à lire, sous-titrage, langue des signes française (LSF) ou encore langue parlée complétée, des solutions existent.

« Idéalement, il faudrait que chaque chaîne et site d’information en ligne puisse se rendre accessible à tous. » Ce souhait, formulé par Sylvain, sourd depuis son enfance et formateur de LSF à l’Institut national des jeunes sourds (INJS) situé à Gradignan en Gironde, est partagé par beaucoup d’autres personnes atteintes de surdité ou de cécité. En France, la carence médiatique touche près de 6 millions de malentendants et sourds selon des chiffres de l’Institut Pasteur mis à jour en 2019 et plus de 1,1 million d’aveugles et malvoyants, selon des estimations présentées en 2018 par la Fédération des Aveugles de France.

Pour les personnes atteintes de déficience auditive, pour lesquelles l’image seule ne suffit pas, vingt heures des programmes d’information télévisés sont retransmis par mois en LSF. « Il n’y a pas assez d’émissions accessibles aux sourds et malentendants, constate Jean-Louis Cronier, chargé de communication de l’INJS. Ou alors très ponctuellement. » Quelques médias tentent de pallier ce défaut. Télé Matin, sur France 2, traduit en simultané deux flashs info nommés « Tout info, tout en signes » en LSF à 6 heures 30 et à 9 heures. Dans la continuité, France 3 Pays de la Loire a repris la rubrique dans son journal régional et a poussé la démarche en la publiant sur sa chaîne Youtube et sa page Facebook. Le site du groupe M6 a lancé il y a un an « Le 10 minutes », un programme diffusé chaque mercredi qui reprend l’actualité de la semaine. Plus connu, LCP propose les débats parlementaires en LSF et en sous-titrage. 

Des médias à contresens

Ces cas spécifiques, non exhaustifs, restent néanmoins une exception, alors que la loi Handicap, votée en 2005, prévoit l’accès à l’audiovisuel aux personnes en situation de handicap par une obligation de sous-titrage. Elle dispose que la totalité des programmes dont l’audience moyenne annuelle dépasse 2,5 % de l’audience totale devra être sous-titrée dans un délai maximum de cinq ans. Mais quatorze ans après le vote du texte, le PAF demeure bien lacunaire.

 Outre la porosité de la loi Handicap, il existe aussi des erreurs de sous-titrage et des insuffisances assez récurrentes. « Il y a des fautes d’orthographe et de syntaxe, et les sous-titres défilent souvent trop vite« , reprend Jean-Louis Cronier. Noémie Churlet, directrice de rédaction de Média’Pi!, un webmédia bilingue en LSF et en français, rapporte aussi que « l’encadré réservé à l’interprète en LSF dans les émissions TV est souvent très petit« . Des failles que Sylvain relativise au vu des progrès initiés par les médias depuis quatre ans : « Il y a quelques années, je n’aimais pas trop suivre l’actualité. Mais aujourd’hui, parce qu’il y a de plus en plus de moyens de nous informer, je m’y intéresse vraiment. Je le fais surtout sur Facebook ou en replay car je suis rarement disponible au moment de la diffusion des émissions en LSF ».

Noémie Churlet enregistre chaque mercredi le JT de Média'Pi!, le webmédia exclusivement en langue des signes et sous-titrages. Photo: Dorine Condé
Noémie Churlet enregistre chaque mercredi le JT de Média’Pi!, le webmédia exclusivement en langue des signes et sous-titrages. Photo : Félicie Gaudillat

La presse écrite est tout autant concernée par le manque d’accès aux personnes ayant des problèmes de surdité. Les sourds, qui ont pour certains la FSF comme langue maternelle – et non le français -, ont des difficultés à lire des articles de presse en français. « La presse écrite, c’est l’horreur pour eux, déplore Jean-Louis Cronier. Plusieurs mots en français disent la même chose. Par exemple, le mot “résidence“ peut être remplacé par “domicile“ ou “maison“, alors que la LSF n’utilise qu’un seul mot. Également, la syntaxe de la LSF est à l’opposé de la langue française, ce qui rend la lecture encore plus ardue. » Cette logique s’applique de facto aux sous-titrages des programmes audiovisuels.

L’accès limité des médias aux aveugles et malvoyants

Malgré des modes de communication bien établis, comme le braille, la lecture audio ou l’audiodescription, les aveugles et malvoyants se trouvent aussi marginalisés. Le descriptif oral, par exemple, n’est pas absent des programmes de télévision, mais la part d’émissions d’information est faible. La Fédération des Aveugles de France estime que seules 4% des émissions de télévision, toutes catégories confondues, étaient audio-décrites en 2018, alors même que l’Hexagone comptait, la même année, près d’1,1 million d’aveugles et malvoyants sévères.

Parallèlement, la traduction en braille, qu’il soit intégral ou abrégé, ouvre l’accès aux articles de presse et revues. Certains magazines, comme le tout nouveau bimestriel Au bout des doigts et le Magazine de Bordeaux, sont même d’emblée rédigés en braille. « J’ai appris le braille intégral il y a trois ou quatre ans, raconte Gisèle Durand, une malvoyante profonde. Pouvoir lire est important pour moi : lorsque vous n’utilisez que l’audio, vous en oubliez l’écriture« . Cette septuagénaire se rend fréquemment à l’espace Diderot de la bibliothèque Mériadeck, qui dispose d’un fonds important d’articles et de livres en braille et de lectures audio, constitué à partir de contributions. S’informer en braille pose néanmoins quelques problèmes : traduire du français en braille prend du temps, faire appel à un interprète est onéreux et les documents traduits prennent beaucoup de place. Et surtout, la lecture du braille demande du temps et de la concentration. « Je lis dix pages de braille en une heure environ », estime Gisèle. Difficile, dans ces circonstances, de suivre la rapidité de la presse écrite quotidienne.

Les machines à lire existent, mais à l’instar de celle de la bibliothèque Mériadeck, certaines ne détectent pas le format en colonnes des journaux. Quelques revues sonores sont apparues ces dernières années mais n’offrent pas un large choix en termes de ligne éditoriale. Une solution est donc envisageable mais encore peu répandue : la lecture audio des articles de presse directement disponible sur le site web des journaux. Selon des estimations de la Fédération des Aveugles de France, seuls 10 % des sites internet, toutes catégories confondues, sont accessibles en 2018 aux personnes aveugles et malvoyantes. Parmi lesquels TF1 et TV5 Monde, selon le site Handicapzero qui recense les sites accessibles à toute forme de handicap. Pour pallier cette insuffisance, Gisèle, comme d’autres malvoyants et aveugles, possèdent un localisateur, un engin vocal qui lit chaque page sur internet. « Y compris les annonces, rit-elle. C’est donc souvent long. Et puis, je sais pas, je ne suis pas très à l’aise avec ces technologies. Moi, c’est la radio. » 

Face à ces lacunes, la radio et les podcasts s’imposent comme les moyens d’information privilégiés. « Je commence par France Bleu Gironde pour les informations pratiques, détaille Gisèle. Puis je zappe sur France Culture ou France Inter, ça dépend de l’invité de la matinale. A 18 heures, j’écoute le journal de France Culture. Et j’aime bien écouter Laure Adler entre 20 et 21 heures.« 

Trouver des solutions pour une plus grande accessibilité des médias n’est pas uniquement l’affaire des personnes atteintes de surdité ou de cécité. « Avec les nouvelles technologies, les oreilles sont beaucoup plus sollicitées. Une heure d’écouteurs ou de casque par jour peut provoquer, à force, une perte annuelle de 10 % de l’ouïe. » , avertit Jean-Paul Cronier de l’INJS. Malgré le bridage des appareils, cela représente un réel risque de surdité précoce pour la génération actuelle. Un constat que les médias ne pourront pas ignorer d’ici quelques années.

Félicie Gaudillat