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Le Diplo, une histoire d’amitié

Le Monde diplomatique a créé un lien fort avec ses lecteurs réunis dans des associations sur tout le territoire. Depuis plus de vingt ans, leur relation semble au beau fixe.

Il est 19h30, par une pluvieuse soirée d’automne, la bibliothèque du Haillan (33) reste ouverte. Les Amis du Monde diplomatique tiennent débat. Ils sont une trentaine, carnet à la main à écouter attentivement l’exposé critique de l’économiste Jean-Marie Harribey sur la future réforme des retraites. Pas d’éclats de voix, des échanges toujours courtois malgré quelques désaccords entre les participants. Il faut veiller à bien respecter l’esprit d’un journal dont le slogan est : “ On s’arrête et on réfléchit ”. 

Dans l’assemblée, tous ne sont pas des amoureux transis du mensuel indépendant mais chacun a sa petite histoire avec Le Diplo. Il y a par exemple Damien, contrôleur de gestion d’une quarantaine d’années :  “J’ai découvert le Monde Diplomatique lorsque j’étais étudiant en économie.” Là il apprend à aimer “les articles longs, fouillés sur plusieurs domaines qui m’intéressent comme la géopolitique, l’économie. J’ai moins de temps aujourd’hui pour le lire mais je suis le journal sur les réseaux sociaux. J’aime être au courant des sujets que ses journalistes abordent”. Aspiré par son travail et sa vie familiale, le quadragénaire avoue avoir délaissé le papier et s’informer quasi-exclusivement sur smartphone. “ J’assiste à un débat des Amis du Monde Diplo pour la deuxième reprise. C’est bien de sortir parfois de chez de soi ! Je suis un peu atypique, avec mon profil digne d’un cadre dynamique de LREM. Pourtant, je reste attaché à ce journal engagé car il est autonome et indépendant.”

Pour l’amour de l’indépendance

Soutenir la presse indépendante, c’est la motivation de Jean, retraité de l’aéronautique. Il adhère depuis deux ans à l’association des Amis du Monde Diplomatique. Du Canard enchaîné à Médiapart, de Basta Mag à Fakir en passant par Le Média et Là-bas si j’y suis : Jean est un polyamoureux de la presse engagée. Il pourrait en parler pendant des heures. Il passe son temps libre à lire, écouter et regarder tout ce qui se fait de nouveau en matière de journalisme indépendant. Le Monde Diplomatique,“ ses articles complets” et sa ligne altermondialiste affirmée occupent une place de choix dans la galaxie des médias qu’il traverse au quotidien. Contrairement à Damien, Jean correspond au profil type des membres de l’association des lecteurs du mensuel. Plus de 50 ans, de gauche, grand lecteur avec de longues études comme bagage.  

Françoise et Jean-Claude sont d’autres amoureux du titre, « nous sommes abonnés depuis douze ans déjà « , confessent-ils. Blousons et vestes rouges, le couple de retraités reste fidèle aux « conf’ du Diplo « , ces rassemblements trimestriels organisés par l’association des Amis du Monde Diplomatique.  » Nous aimons assister à ces soirées, elles permettent de prolonger une lecture, explique Françoise. Les articles sont bien faits et pédagogues mais parfois nous avons besoin d’un éclairage supplémentaire, et nous le retrouvons au cours des conférences.  » Les thématiques abordées rejoignent souvent un ou plusieurs articles qui sont parus dans le mensuel.

 » Nous avons également l’occasion de rencontrer des journalistes qui échangent sur tel ou tel article qu’ils ont écrits. Comme le rédacteur Jean-Baptiste Malet –auteur de l’enquête sur la géopolitique du concentré de tomate NDLR- qui a animé une rencontre l’an dernier, se rappelle Jean-Claude.

La recette de leur relation apaisée avec ce média ? Une proximité géographique, des préoccupations communes mais aussi « une sensibilité idéologique qui nous rapproche », reconnaît le couple.

Jean-Daniel Peyrebrune, correspondant des Amis du Monde Diplomatique en Gironde nous parle de son lien avec le mensuel indépendant.

Le prix de l’autonomie

En fin de soirée, Jean-Daniel Peyrebrune prend la parole. Le dirigeant des Amis du Monde Diplomatique en Gironde fait partie des 60 correspondants qui font vivre localement le journal. Il conclut la causerie en appelant à rejoindre l’association.

Fidéliser des membres, en France ou à l’étranger, est primordial pour l’autonomie éditoriale du titre. Depuis sa création en 1996, les Amis du Monde en Diplomatique possède 25 % des actions du journal ( 24% appartiennent à l’association des rédacteurs et 51% au journal Le Monde). Au fil du temps, les Amis du mensuel font face à des difficultés. “Il y a une baisse du nombre d’adhérents, constate Jean-Dominique Peyrebrune. Le risque est que l’association disparaisse ce qui pourrait remettre en cause notre statut d’actionnaire et menacer l’avenir du journal”, explique le correspondant girondin. 

A ses côtés, Sandie Benchamoul, cheffe de service de la bibliothèque couve du regard l’assemblée maintenant réunie autour d’un pot.  » Nous sommes satisfaits du partenariat avec les Amis du Diplo, avoue-t-elle. Accueillir les interlocuteurs d’un journal sérieux sur des thématiques variées, nous permet d’accomplir modestement notre mission de service public.  » Ecologie, retraites, lobbys, finances, les sujets à décrypter et vulgariser ne manquent pas.


A la conquête de la jeunesse

Quelques kilomètres plus loin, à Bordeaux, le café Diplo de Sciences Po Bordeaux est une autre antenne de proximité du mensuel. François Marius, âgé de 21 ans, est à la tête de l’association étudiante. « Le Diplo ? C’est ma référence « , avoue-t-il d’entrée de jeu. Déçu par la qualité de l’information qu’il retrouve dans le champ médiatique, le journal altermondialiste demeure un des rares titres que l’étudiant en master de géo économie appliquée prend le temps de lire.  » Ailleurs, j’observe un écroulement de la réflexion, il n’y a qu’à penser à l’affaire Bouygues ou plus proche de nous, Dupont de Ligonnès.  »

À l’appel des Amis du monde diplomatique en 2017 aux jeunes, de nombreux cafés Diplo essaiment aux quatre coins de la France : en lycées, classes préparatoires ou à l’université. François Marius découvre le club lors de la journée des associations à l’Institut d’études politiques. « Je me suis rapidement engagé et j’ai découvert un titre que j’apprécie beaucoup aujourd’hui. Il traite tous les sujets de manière concise et fouillée. »

En 2018, le groupe a organisé cinq conférences et deux cafés-débat.  » La richesse des thématiques abordées permet de faire rayonner le journal. Et son caractère apartisan attire des personnes aux sensibilités diverses à nos conférences.  » Le regard résolument tourné vers l’avenir, il aimerait multiplier les activités du café Diplo.  » On projette de lancer une plateforme rassemblant les cafés Diplo de toute la France pour mutualiser les ressources et recenser leurs activités. « 
Pour continuer à faire vivre cette utopie d’un journal réseau social et lieu de débats, le Diplo aura bien besoin de sang neuf.

Anne-cécile Robert, journaliste, directrice des relations et des éditions internationales au Monde Diplomatique :

“ Nos seuls amis ce sont nos lecteurs ! ”  

 » Les lecteurs ont un rapport très affectif avec nous mais sont d’une très grande exigence. Ils ne nous pardonneraient pas de transiger avec notre ligne anticapitaliste et altermondialiste, ni avec la rigueur et le sérieux de nos articles. Un grand groupe pétrolier m’avait par exemple proposé de faire un article sur certaines de leurs « actions humanitaires « . J’avais refusé car le rédiger, aurait signifié trahir les lecteurs et mon journal au vu des actions quotidiennes de cette entreprise capitaliste, contraires à nos valeurs partagées.
Pour le moment, ils semblent satisfaits, le taux de réabonnement est l’un des plus forts en France (sur dix ans, le taux de réabonnement est de 78%). Ils nous écrivent peu mais lorsqu’ils le font, ce sont habituellement des lettres ou des mails argumentés où on sent leur attachement, leur amour pour notre titre. Le risque dans une telle situation est d’être trop dans la routine. Mais nous avons su faire évoluer le journal au bon moment. Nous commencions à avoir des remontées des amis du Diplo qui nous disaient qu’ils étaient moins surpris par nos contenus, qu’il y avait trop d’éditoriaux et pas assez de terrain. A l’arrivée de Serge Halimi à la direction du journal, la ligne à évolue vers plus de reportages et d’enquêtes. Comme le rappelle Serge Halimi :  » Dans le monde des médias, nous sommes un village gaulois réfractaire et nos seuls amis, ce sont les lecteurs qui sentent où doit aller le journal « .


Lauriane Vofo Kana et Matthias Hardoy