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Snapchat : le grand laboratoire médiatique

13 millions de Français utilisent chaque jour l’application de messagerie Snapchat : une aubaine pour la poignée de médias autorisés à y diffuser du contenu depuis 2016. Mais comment s’y prennent-ils pour se rapprocher d’un public majoritairement composé de 13-25 ans et quelle est leur stratégie ?

Quel point commun y a-t-il entre Le Monde et Melty ? Entre Paris Match et Konbini ? Entre L’Équipe et BFMTV ? Ces six médias font partie de ceux qui ont été sélectionnés par l’application Snapchat pour diffuser leur contenu dans sa section Discover. Tous voient en la plateforme un vivier de 13 millions d’utilisateurs français, composé à 60 % de 13-34 ans. Leur but ? Accrocher les jeunes lecteurs avec des formats visuels et interactifs qui disparaissent au bout de 24 heures.

S’adapter au lecteur

Construire de l’information sur Snapchat nécessite de se familiariser avec un public que la presse touche rarement, et à un nouveau support. Pour attirer l’attention des jeunes internautes, les méthodes et les choix éditoriaux des médias diffèrent. « Au Monde, nous faisons le choix de ne pas nous demander si le sujet convient à nos lecteurs, mais plutôt de chercher à trouver la meilleure manière de l’aborder », explique Olivier Laffargue, chef adjoint du service Snapchat du journal.

« Nous savons pertinemment que les ados savent où trouver les dernières informations au sujet de Rihanna ou de l’octogone de Booba et Kaaris. Il fallait à tout prix éviter de passer pour le « tonton malaise » qui met une casquette à l’envers et qui fait « yo  » avec les doigts à tout bout de champ. Nous restons donc fidèles à nos valeurs tout en essayant d’apporter notre savoir-faire et de concevoir une édition du Monde pas seulement accessible aux jeunes, mais aussi et surtout à tous les lecteurs. » Pour ce faire, le service Snapchat du journal s’éloigne des règles du papier, ou même du web. Il favorise les titres sous forme de questions, afin d’interroger les lecteurs et de piquer leur curiosité.

Les pavés de texte sont proscrits et les contenus se veulent aussi visuels que possible. Enfin, le côté didactique – oubliez le mot « pédagogique » qui impliquerait une relation prof-élève pas spécialement séduisante pour les utilisateurs – est poussé à son maximum.

De la même manière, L’Équipe cherche à faire de son édition Discover « un miroir de ce qu’est le journal ». Le quotidien sportif s’autorise toutefois quelques pas de côté par rapport aux choix éditoriaux qu’effectuent le quotidien papier et le web. « Nous savons que certains sports ou personnalités fonctionnent mieux auprès de ces très jeunes lecteurs », explique Arthur Laffargue, chef d’édition Snapchat chez Upian, entreprise à laquelle L’Équipe a confié la réalisation du contenu Discover. Le rugby et le cyclisme, constitutifs de l’identité du journal, sont peu appréciés par les 12-25. À l’inverse, la NBA est abordée de façon plus régulière. « Nous ne nous interdisons pas de parler de certains sports mais le dosage est différent », ajoute-il.

D’autres médias, à l’instar de BFMTV, font le choix de développer des contenus inédits et exclusivement pensés pour le jeune public. « Nos sujets Snapchat abordent des thématiques lifestyle, jeunesse, culture urbaine … », détaille Baptiste Haentjens, manager du pôle social media chez NextInteractive (BFMTV, RMC, 01net …). Pour toucher un public différent, la chaîne s’éloigne de ce qui fait son ADN sur le petit écran : parmi les émissions qu’elle diffuse sur Snapchat figurent « L’interview Breaking News », des entretiens filmés face caméra avec des rappeurs ou des représentants de la culture web, ou « Le Look à Copier », une émission dans laquelle une journaliste cherche à imiter le style d’une célébrité avec une tenue à moindre coût. Aux antipodes de la hard news qui occupe les plateaux du canal 15 de la TNT.

Dans la partie Discover de l’application, les contenus médiatiques côtoient les publicités et les stories des personnalités. Le challenge des journaux : attirer l’attention de jeunes lecteurs. Photo : CC

« Un public qu’on ne touche pas ailleurs »

L’application est exigeante. Toutes les 24 heures, les médias sélectionnés doivent lui fournir du contenu inédit et hautement graphique. Des services de cinq à sept personnes se montent dans les rédactions, et se penchent exclusivement sur les sujets Snapchat. Cet investissement est motivé en grande partie par la volonté d’atteindre les jeunes lecteurs et d’apprendre à les connaître. « Les internautes qui nous lisent sur Snapchat ne nous lisent pas sur le site web et encore moins sur notre édition papier », reconnaît-on du côté de L’Équipe. « Sur le print, la moyenne d’âge est de 50 ans, sur le web, elle se situe entre 30 et 40 ans alors que sur Snapchat, 80 % de ceux qui nous lisent ont moins de 24 ans », se félicite le directeur adjoint du service Snapchat du Monde. À l’ère de la statistique et de la métadonnée, rien de plus simple pour les rédactions que d’analyser l’impact que peuvent avoir leurs contenus : qu’est-ce qui fonctionne ? Qu’est-ce qui ne marche pas ? Combien de temps passent les utilisateurs sur l’édition du jour ? « Les stats d’engagement sont très bonnes. Lorsqu’un lecteur swipe vers le haut pour lire un article, son temps de lecture moyen est de deux minutes », précise fièrement Olivier Laffargue. Un chiffre remarquable lorsque l’on sait que le temps de lecture moyen d’un article sur le web se limite à une dizaine de secondes.

Apparaître sur Discover permet aussi de rajeunir l’image du média. L’une des idées sous-jacentes est d’inscrire la marque du titre de presse dans l’esprit du lecteur le plus jeune possible afin d’en faire un futur abonné. Quant à la publicité, elle permet d’amortir les frais de production de contenu, même si les revenus qu’elle génère sont partagés à 50 % avec le réseau social.

« Notre présence sur Snapchat nous permet de développer des formats que nous n’avions pas l’habitude de développer », résume Baptiste Haentjens. « C’est un véritable laboratoire de la vidéo verticale dans lequel nous créons des contenus plus rythmés, adaptés à des audiences spécifiques », ajoute-t-il. Et pour leur donner vie, il a fallu intégrer des motion designers et autres professionnels du graphisme et de la vidéo dans les rédactions. Ces compétences qu’elles développent pourront ensuite être réutilisées à travers d’autres formats et sur d’autres supports. Et cette fois-ci, les médias ne seront plus dépendants de l’application au fantôme blanc sur fond jaune.

Valentin Després

L’histoire des médias français sur Snapchat :
L’application lance en janvier 2015 la première version de Discover, réservée aux médias anglo-saxons. CNN, MTV ou encore National Geographic font partie des rares à avoir satisfait les exigences de la plateforme. À la fin de la première année, leurs contenus sont vus par 60 millions de personnes par mois. De quoi faire saliver la presse française.
Rien ne dit alors qu’une version française sera développée, mais Le Monde, BFMTV ou encore Le Parisien se montrent déjà particulièrement alléchés par l’éventualité d’un rendez-vous quotidien avec les 13-34 ans – soit 60 % des utilisateurs de l’application.
Snapchat planche sur les numéros zéro des intéressés et sélectionne huit médias qui publieront quotidiennement sur la version francophone de Discover. Sont retenus Le Monde, Paris Match, L’Équipe, Konbini, Cosmopolitan, Vice, Melty et Tastemade. Deux ans plus tard, le réseau social lance un nouveau format de programmes courts baptisé « Shows ». Treize nouveaux partenaires intègrent l’aventure parmi lesquels BFMTV, France Télévisions ou encore Golden News.
Aujourd’hui, les pages Discover de Melty, L’Équipe, Le Monde ou encore Konbini réunissent chaque jour plusieurs centaines de milliers de visiteurs uniques.