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19 janvier Paris

Gilets jaunes, Acte 3 : les journalistes contre-attaquent

Face aux entraves à la liberté de la presse observées pendant les rassemblements, plusieurs journalistes se rapprochent des manifestants ou s’organisent entre eux pour faire valoir leurs droits. 

Au fil des actes, certains journalistes indépendants se sont rapprochés des militants. “On est ciblé par les forces de l’ordre, comme les manifestants. Donc il y a forcément une solidarité qui se crée. Moi, je me sens plus proche des manifestants que de la police”, explique Nicolas Mayart, étudiant en journalisme à Lannion. 

Les indépendants sont souvent mieux acceptés par les Gilets jaunes : “ils ne sont pas financés par des milliardaires, donc on peut établir un lien de confiance avec eux “, explique Patxi, Gilet jaune bordelais devenu street medic.


« Une forme de radicalisation »

“Quand on est identifié comme presse indépendante, les manifestants savent qu’on respecte leur image. S’il y a du respect d’un côté, il y en a de l’autre”, détaille Marion Vacca, membre du collectif de photographes Macadam Press.

Quitte, parfois, à brouiller les lignes. “Il y a eu une forme de radicalisation chez certains photographes. Une envie de militer pour les mêmes objectifs que les Gilets jaunes. Ils l’affichent clairement”, assure Stéphane, jeune photographe bordelais, qui couvre les Gilets jaunes depuis l’acte 3.  “Les journalistes qui sont militants aujourd’hui l’étaient déjà avant les Gilets jaunes”, tient à nuancer Marion Vacca.


Des indépendants se regroupent

Le 21 septembre 2019, à Paris, des Gilets jaunes – sans leurs gilets – répondent présents à l’appel national, sans parvenir à former de réel cortège face à l’imposant dispositif policier sur le secteur des Champs-Elysées. Le matin, plusieurs journalistes se font confisquer leur matériel. L’après-midi, le cortège de la Marche pour le climat, rejoint par les Gilets jaunes, est noyé sous les gaz lacrymogènes. La situation dégénère à l’avant entre black blocs et forces de l’ordre.  

“Cette journée nous a tous marqués, on a voulu créer un groupe entre photographes, un média pour se défendre. C’est engagé, mais on fait attention à ce que l’on met, on n’incite pas à la violence”, explique un journaliste indépendant qui a voulu rester anonyme. Le groupe “Les indépendants” compte une vingtaine d’administrateurs sur Instagram et Facebook. Des images chocs, avec des flammes, des blessés, des blacks blocs… Et des phrases tout aussi frappantes : “si vous reculez maintenant, vous reculerez toute votre vie”, “les libertés ne se donnent pas, elles se prennent”

“A cause des images qu’on diffuse, on est autant visé, voire plus, que les manifestants, explique Thomas, membre de ce groupe et reporter indépendant. Notre but, c’est de centraliser l’information de toutes les villes de France. Nous sommes plus ou moins militants. Nous voulons surtout montrer la vérité”

Un photographe indépendant, la vingtaine, résume l’état d’esprit ambiant après des mois de couverture des mouvements sociaux : “Je ne dirais pas que j’ai un sentiment « anti-flic” mais j’ai vu des gens se faire tirer dessus sans raison. J’ai entendu des policiers rire du malheur qu’ils avaient causé. À cause de tout ça, je suis désormais méfiant par rapport aux forces étatiques”


« Ce n’est plus possible »

S’ils ne partagent pas tous les idées des manifestants, leurs convictions pour la liberté de la presse se sont renforcées. En clair, “on demande juste à pouvoir faire notre boulot”, résume NnoMan, photojournaliste indépendant. 

“De plus en plus d’indépendants se permettent de dire en off que ce n’est plus possible. Il suffit de voir l’évolution de quelqu’un comme Rémy Buisine entre 2016 et maintenant. Aujourd’hui, il n’hésite pas à gueuler quand un flic l’empêche de bosser. Ce qu’il ne faisait pas du tout avant. C’est forcément le fruit d’un comportement policier à son encontre”, assure encore NnoMan. 

Nouvel exemple des réactions de ces journalistes qui n’en peuvent plus : une tribune, publiée sur les sites des médias Bastamag et Rapports de force. Signée par une quarantaine de journalistes et dix rédactions suite à l’arrestation, samedi 12 octobre 2019 à Toulouse, de Guillaume Bernard, journaliste pour le site Rapports de force. Celui-ci était accusé d’avoir jeté des projectiles sur les forces de l’ordre, avant d’être uniquement poursuivi pour rébellion. Il est convoqué au tribunal le vendredi 15 novembre. “Ce n’est pas parce que le nombre de journalistes entravés dans leur métier d’informer, interpellés, voire même placés en garde à vue ou poursuivis ne cesse d’augmenter que nous devons nous habituer à ces intimidations […] nous réclamons la relaxe pure et simple de Guillaume Bernard”, peut-on lire dans la tribune. 


Des « actions symboliques »

Les indépendants, souvent perçus comme des loups solitaires, s’organisent petit à petit. Après l’été, un groupe de “journalistes engagés” s’est créé. “Ils font des réunions à Paris, réfléchissent à comment faire évoluer le statut des photographes, et faire comprendre à la police qu’on est journaliste même sans carte”, explique Marion Vacca. “Je suis allée à une des réunions mais je me détache du côté militant ”, détaille-t-elle.

Le groupe « contre la précarité et la répression”, créé après l’été, compte 130 membres sur Facebook.  “Ce groupe, c’est un peu la réponse au G7 : les contrôles en série, les accès limités pour les journalistes”, explique NnoMan, qui en est l’administrateur. “On ne pouvait pas continuer uniquement à se plaindre, il fallait s’organiser”. 

Lors de la “marche de la colère” des policiers, le 2 octobre, des journalistes indépendants ont montré  leur solidarité avec leur confrère Gaspard Glanz, interpellé alors qu’il couvrait l’évènement. NnoMan affirme : “On est allé devant la ligne de gendarmes pour demander des réponses. Ils l’ont laissé sortir au bout d’une demi heure. Je suis sûr que notre présence à ce moment-là a pesé dans la balance”.

Le groupe réfléchit à faire des “actions symboliques”. Peut-être sur le modèle hongkongais : durant une conférence de presse de la police début octobre, les journalistes ont enfilé leur masque à gaz pour dénoncer les abus dont ils sont victimes en manifestation. 

Alexandra Lassiaille et Hippolyte Radisson